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Louis Belmont, écrivain et correcteur... |
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romans | Le Mystificateur |
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Prologue
Un vieil homme, assis à un bureau dans une sereine pénombre. Une pâle lumière transparaît d'une lampe Gallé en pâte de verre, en forme de champignon dans les tons vert et orangé, et dans le pétillant éclat de ses yeux, le regard toujours acéré malgré l'âge. Éclat d'une mystérieuse vivacité. Peut-être due à la malice. Ce vieil homme laborieux à sa table de travail, son vieux stylo à plume d'or, serré par ses doigts souffrant d'une méchante arthrite. Ses doigts crispés sur sa plume, ultimes médiateurs entre sa pensée et les hommes. Ses doigts depuis plus de cinquante longues années au service de sa si sublime et possessive et séduisante maîtresse, l'Écriture. Ses doigts, mornes instruments décharnés, raidis et crispés sur son dernier espoir de transmettre encore une petite chose, si essentielle pour lui. En une espèce de glorieux et victorieux testament. Cette bouche commissurée, esquissant une grimace, ou peut-être un imperceptible sourire, cette bouche partiellement édentée par l'incessant travail de sape de la vie et de ses épreuves. Ce possible sourire à l'évocation de tous les moments de joie. Ce sous-rire aisément compris comme jaune et amer à la réminiscence des abandons et trahisons. Cette bouche entrouverte de ce vieil homme emmitouflé dans une de ses si élégantes robes de chambre en soie, assis à son bureau de style Louis XV, cette bouche souffle et siffle douloureusement et soupire vaillamment. Peut-être est-il en train de l'écrire son testament, cet homme proche de la mort, transmettant ses derniers messages, ses derniers espoirs, sublimant ainsi ses dernières angoisses. Cette peur panique qui l'a envahi, ce profond refus de tout voir mourir avec lui, ce final sursaut pour communiquer la quintessence de ses connaissances et expériences à tous ceux qu'il a aimés. Nécessité absolue, torture absolue à l'aube de sa mort. Jusqu'à la fin, il travaillera, s'appliquera, essayant d'écrire lisiblement, cherchant désespérément et par tous les moyens à survivre à sa propre, future et inévitable disparition. Naïvement convaincu d'y parvenir, ce vieil homme au regard perçant acceptera, ou fanfaron, fera semblant d'accepter la fatalité. Lui qui a tellement cherché Dieu, si jamais Il avait un moment de libre. Prions pour que Dieu le trouve. Et l'accueille.
De sa plume d'or, il a écrit avec grande application le mot "FIN" et signé "T. Zalmer" en grandes et scolaires majuscules, et a souri, satisfait. Satisfaction de l'homme ayant accompli sa tâche, prêt à partir en paix, malgré ses terribles inquiétudes face à l'inconnu. Après avoir inscrit sur un bristol couleur paille : "Pour Aurore", il entoura soigneusement ses feuillets d'un ruban violet. Éteignit sa lampe Gallé, s'allongea sur son fidèle sofa, se recouvrit d'une confortable et multicolore couverture crochetée. Sourit à nouveau et ferma les yeux. Il écouta Ruht wohl, s'éleva. Puis s'endormit. Resquiescat in pace.
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I
Aujourd'hui, si j'avais bien travaillé, naîtrait la plus grande escroquerie littéraire de la décennie. Ou du siècle. De l'histoire de la res scribata ? Voire. Très bientôt je saurais s'il était impossible de berner les éditeurs et critiques littéraires, quand bien même sur leur terrain jouerions-nous. Tout avait commencé lors d'une très banale garden-party chez les de Machin, l'une des plus guindées que je connusse, alors que je m'ennuyais à mourir entre les diverses conversations d'un snobisme à trouver épicée la moindre feuille de salade non-assaisonnée. Cette idée lancée comme une blague, avait petit à petit germé dans mon cerveau pour, insidieusement et inexorablement, tourner jusqu'à l'obsession. Il fallait ! ça s'imposait ! Aujourd'hui serait donc le jour de la vraie-fausse vérité. Et soit j'allais vraiment bien m'amuser, soit je me retrouverais en vacances prolongées aux frais du contribuable que je ne serais plus. En quête de nouvelles expériences et d'un peu de sel à saupoudrer sur ma vie, l'une et l'autre me séduisaient tout autant. J'étais convaincu de réussir. N'y avais-je pas mis toute mon âme ? N'y avais-je pas usé mes yeux à lire et relire encore tous les écrits de mes maîtres jusqu'à en posséder parfaitement leur style ? Et pour finir, n'étais-je point né sous le signe du caméléon à poil dur ? Ainsi, ayant renoncé au métro et au taxi, afin de profiter d'un tendre soleil de mai, je me rendais ad pedibus cum jambis dans le VIe arrondissement avec en poche trois quatre adresses des plus prestigieuses maisons d'édition françaises. Cette décision n'avait pas été prise sur un coup de tête, le fruit était mûr. Il me semblait qu'une bonne marche me permettrait de vérifier que nous avions bien pensé à tout et que le scénario élaboré avec Aurore allait se dérouler comme prévu. Arrivé à Paris la veille au soir par le vol Swissair 153, laissant seule à Cointrin ma belle et tendre, mais lui promettant de lui téléphoner tous les jours et de revenir très vite, j'étais descendu, simple et de bon goût, au George-V. Ma charmante Aurore qui avait tenu à me conduire jusqu'à l'aéroport, espérant qu'au dernier moment j'accepterais qu'elle m'accompagnât. En dépit de son insistance : "Tu ne crois pas que ce serait mieux, avec mon nom", etc., je n'avais pas cédé, lui affirmant : "Tout se passera très bien, j'ai pas besoin d'aide, il est préférable que j'agisse seul, tout au moins dans l'immédiat". Elle l'avait finalement admis, de très mauvaise grâce il est vrai. En fait, je ne souhaitais tout simplement pas qu'elle fût mêlée en personne à cette histoire. Comme une mère son enfant tant désiré, serrant avec amour, respect et reconnaissance ma sacoche contenant le précieux document, je déambulais dans ces rues dont les noms résonnaient d'une tendre nostalgie à mes oreilles. La seule chose qui me tracassait était que Zalmer avait disparu depuis seize ans déjà. J'espérais qu'il n'était pas encore oublié par les professionnels du livre, mais ce léger doute apportait un peu de piquant. Serein et détendu, pas même essoufflé, je parvins à l'entrée des glorieuses éditions G.F.H., avec une excellente raison de commencer par celles-ci. Pour la circonstance, ce qui ne m'était pas arrivé depuis que j'avais cessé d'être agent immobilier, j'étais allé jusqu'à m'imposer le port de la cravate. Cet accessoire considéré comme une espèce de passe-partout dans certaines sphères de notre brillante société, ou un laissez-passer du genre : "Il est des nôtres, accueillons-le". À suivre... |
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